Le "Feather Gate" : l'affaire des dinosaures à plumes

Page créée le 23-03-2013 - Mise à jour le 01-07-2020
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Deux mots, un hashtag. La première intervention publique de Colin Trevorrow après sa nomination à la réalisation de Jurassic Park 4 ne pouvait pas être plus succinte, ni à première vue plus anodine. L'info n'a fait l'objet que de deux lignes entre deux rumeurs dans notre précédente news. A peine le temps de se dire que, chouette, on ne reverrait pas les hideux raptors à crête du troisième épisode et on était passé à autre chose. Pas de plumes ... OK et sinon on reverra John Hammond?

Mais il semble qu'on ait raté quelque chose, que l'on n'ait pas su voir les implications de ce parti pris artistique allant à l'encontre des découvertes effectuées depuis la sortie du premier film en 1993. Car, oui, pour ceux qui l'ignorent, il est maintenant établi que certains dinosaures étaient recouverts de (proto) plumes.

Depuis deux jours le débat est animé entre les pros et les antis plumes. Débuté sur le forum de JPLegacy comme une énième querelle de fans, il a pris une toute autre dimension lorsqu'un membre de la communauté scientifique a publié un plaidoyer en faveur des dinosaures à plumes, sur un blog hébergé par le très sérieux National Geographic. Dans les commentaires de l'article les lecteurs se sont eux aussi mis à débattre, et le partage de cette publication sur notre page Facebook n'a pas manqué de susciter là encore une joute d'opinions.

 

Alors pourquoi un tel clivage? Pourquoi les plumes des dinosaures de Jurassic Park 4 représentent-elles un enjeu allant au delà du choix artistique et du respect de la continuité de la saga? Les fans les plus assidus rappellent que "ce que John Hammond et InGen ont fait à Jurassic Park, c'est créer des monstres de parc d'attraction génétiquement fabriqués" et que par conséquent rien n'oblige à ce qu'ils soient scientifiquement réalistes. Mais en dehors des quelques personnes au monde capables de citer par coeur cette réplique, les spectateurs voient les dinosaures de Jurassic Park comme de vrais dinosaures et c'est là qu'est le problème..

Jurassic Park est depuis 20 ans à l'origine de la perception que le grand public a des dinosaures. Pour beaucoup de gens dinosaure = Jurassic Park. Sans le film sorti en 1993, quelle proportion de la population saurait aujourd'hui ce qu'est un velociraptor? Et parmi eux, combien auraient une petite idée de ce à quoi il ressemble? Jurassic Park, bien que n'étant pas irréprochable sur la véracité scientifique, a initié des millions de gens, une génération entière dont nous faisons partie, à une obscure discipline scientifique qui déterre des trucs morts. Par le prisme d'un blockbuster, les gens se sont intéressés à la paléontologie, à l'évolution, voire à la génétique.

Alors oui, les premiers Jurassic Park trainent quelques casseroles. Non le tyrannosaure n'avait pas une vision basée sur le mouvement, le dilophosaure n'avait pas de collerette et ne crachait pas de venin, et le velociraptor ne mesurait qu'un mètre de haut. Pourquoi donc s'écharper pour des plumes? Parce que les dinosaures de Jurassic Park se veulent globalement réalistes et représentatif de l'état de l'art paléontologique. En 1993, en collaboration avec le paléontologue Jack Horner, ILM a créé des animaux qui, à quelques impératifs scénaristiques près, collaient aux découvertes majeures de l'époque. Ils ont donc dépeint des animaux à sang chaud, rapides, grâcieux, loin des mastodontes poussifs de l'imaginaire collectif. Le film instillait également, par le biais de quelque répliques, des théories en vogue comme le fait que les dinosaures soient plus proches des oiseaux que des reptiles, idée incongrue pour le grand public à l'époque. Autre exemple plus récent, Jack Horner a insisté pendant des années auprès des équipes créatives de la saga pour que le tyrannosaure soit représenté comme un charognard, chose qui fut faite dans le troisième film

On considère souvent qu'il y a eu deux période de réel intérêt du public pour les dinosaures. La "ruée vers l'os" à la fin du XIXème siècle, et ses rivalités entre paléontologues hautement médiatisées, les a fait passer du statut de gros iguanes (à l'image des statues de Crystal Palace) a celui de reptiles à part entière, différents ce qui peut exister aujourd'hui. Le second événement fut la sortie de Jurassic Park en 1993 qui permit leur mise à jour dans la représentation populaire, tel que détaillé précédemment.

Aujourd'hui la croyance populaire se représente les dinosaures couverts d'écailles. Au lieu de maintenir le spectateur dans sa zone de confort (et d'ignorance) en lui montrant ce qu'il s'attend à voir, ancrer dans la tête des gens que les dinosaures sont à ce point proches des oiseaux leur ferait un peu plus prendre conscience que l'évolution est quelque chose de concret, et donnerait du fil à retordre aux créationnistes. La marche à franchir est au moins aussi grande que lorsqu'on imaginait de gros machins patauds et pervertis, des aberrations de la nature se trainant dans des marécages.

Mais faudrait-il pour la gravir piétiner la continuité visuelle de la saga Jurassic Park? Comment expliquer au spectateur que ces dinosaures à plumes qu'il verrait dans Jurassic Park 4 sont les mêmes que ceux qu'il a vu dans les précédents films, qu'ils n'ont pas changé sur le plan diégétique, que c'est seulement notre façon de les représenter qui a évolué? Echaudé par les "raptors qui parlent" de Jurassic Park /// n'aurait-il pas l'impression d'être une nouvelle fois pris pour un idiot? Le résultat irait à l'encontre de l'effet attendu. La vulgarisation (au sens de popularisation) des découvertes paléontologiques est assurément une noble cause mais ne serait-elle pas mieux servie par une nouvelle licence mettant en scène des dinosaures en repartant d'une feuille blanche, sans avoir à s'arranger d'un background encombrant?

Quoi qu'il en soit, le réalisateur a fait son choix, et il est peu probable que la Team Feathers JP4, malgré un lobbying intensif sur Twitter, réussisse à faire faire machine arrière aux équipes créatives de Universal et ILM. Ils ont d'ailleurs déjà revu leurs revendications à la baisse et ne réclament plus que l'introduction d'un nouveau dinosaure portant des plumes, ce qui serait un bon compromis.

Alors faut-il montrer au spectateur les "vrais" dinosaures ou ceux qu'il s'attend à voir? Malgré la décision du réalisateur, la question reste posée. C'est en tout cas amusant de constater que se rejoue ici une discussion imaginée en 1989 entre John Hammond et Henry Wu dans le premier livre de Michael Crichton.

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Posté par cool - 26 Octobre 2016

Feathered dinosaurs are awesome.

Posté par pounee - 4 Avril 2020

C'est un faux débat, déjà parce que les dinosaures de JP, plumes ou pas plumes, n'ont absolument rien de réaliste. Car le cinéma ne tend pas à être réaliste mais à être crédible et la différence est MAJEURE.

Le fait que le public est inculte et incapable de faire la différence entre une œuvre de fiction et un documentaire animalier (qui n'est pas non plus strictement le reflet de la réalité et use aussi d'une certaine mise en scène artificielle et donc pas réaliste - notamment grâce au montage vidéo et au dressage pour certains plans) ne peut pas être un argument pour influencer de l'extérieur la création d'un auteur.

Imaginez un seul instant que dans un autre domaine, on aurait obligé Picasso à abandonner ses portraits cubistes parce que "le visage des gens n'a rien de géométrique". Et si l'on suit leur logique "réaliste" jusqu'au bout, en fait on devrait même interdire jurassic parc car ce concept n'est tout simplement pas réaliste.
Allez chercher de la cohérence dans ce raisonnement !!!!!!

Juste pour rappel, mais au cinéma les gens n'allument que rarement les lumières en entrant dans une pièce, sauf si cela sert l'intrigue ou la mise en scène, les portes des voitures ne sont jamais fermées à clés et le verouillage centralisé ne semble pas exister dans ce monde particulier. Ils ne vont chier aux WC que si leur absence ou leur présence dans les toilettes, pareil, ne sert que le scénario. Bref, les acteurs et la mise en scène n'est JAMAIS réaliste et dans aucun film qui soit, mais elle tend à être crédible, en tout cas un minimum. C'est un équilibre fragile et c'est justement l'un des buts de la mise en scène.

Je soupçonne SP d'avoir suivi cette théorie sur la posture des dinosaures uniquement dans un souci esthétique, parce qu'elle sert sa mise en scène, et absolument pas pour rétablir ou soutenir une quelconque vérité scientifique. Sinon comment expliquer que dans le même film, il intervertit des dinosaures entre eux (dilo / vélo), change leur taille, leurs supposés comportements, etc. C'est absolument illogique de croire que Spielberg ait opté pour ce design uniquement dans le but d'éduquer le public.

Donc je ne comprend pas cette demande de vouloir des plumes parce que l'on vient de découvrir des plumes dans les fossiles. Si Crichton avait jugé bon de mettre des ballerines à ses dinos, personne n'aurait trouvé à redire parce que c'est une œuvre de fiction, pas un documentaire animalier. C'est exactement la même chose ici mais dans l'autre sens.

Quand à l'argument de l'éducation, ou plutôt du manque d'éducation, du public c'est un mauvais procès que l'on fait. JK. Rowling aurait-elle du de se retenir d'écrire Harry Potter parce que certaines personnes vont croire, et je pense qu'elles existent vraiment ces personnes, que les sorciers et les sorcières existent vraiment ? Ce n'est pas une idée farfelue, pendant des siècles on a fait la chasse aux sorcières et torturé, tué, emprisonné des milliers de personnes innocentes sur ce seul motif. Et penser que cela ne pourrait revenir à notre époque c'est oublier les platistes. C'est tout à fait possible que la saga HP ait influencé bon nombre de personnes dans cette idée farfelue que les sorciers existent bel et bien. Pour autant, est-ce un argument suffisant pour influencer l'écriture et le libre arbitre de l'auteur ?
Non, absolument pas. Parce que ce n'est pas son rôle. Parce que cela ne relève pas de sa responsabilité en tant que créateur artistique. Parce qu'un créateur ne peut pas être considéré comme responsable de l'interprétation de son œuvre ou plutôt de sa mésinterprétation, souvent liée d'ailleurs à un manque de culture et peut-être aussi des capacités cognitives trop limitées pour faire la distinction entre œuvre fictive, aussi crédible soit-elle, et réalité.

Bref, la demande des fans d'avoir des plumes ne me choque pas en soit. Ils pourraient tout aussi bien leur demander d'avoir des dino fluo parce qu'ils trouveraient ça cool. Ce qui me choque, c'est de brandir cet argument du réalisme et des avancées scientifiques. C'est juste totalement incohérent de demander à un film de science-fiction de chercher à se rapprocher le plus possible d'un réalisme qui par définition ne rentre pas dans le champ de la science-FICTION.
CQFD…

Posté par Laaris - 4 Avril 2020

Avec le temps les idées de Trevorrow ont fait leur oeuvre et il est difficile de se replacer dans le contexte de ce qu'était la licence JP au moment de l'écriture de ce dossier.

On n'aurait pas tenu ce discours si la saga n'avait pas traduit depuis sa création une certaine volonté de coller à l'état de l'art paléontologique (à quelques licences créatives près, que l'on ne nie pas dans le texte).
Crichton, dans sa démarche d'auteur, accordait la majorité de son intérêt et de son temps à la recherche d'informations qui lui permettraient d'écrire une histoire au plus proche de la réalité scientifique. Il expédiait ensuite la phase d'écriture en quelques semaines avant de replonger pleinement dans ses recherches pour son bouquin suivant. La pauvreté de ses scénarios comparée au foisonnement de détails scientifiques devraient vous en convaincre, sinon lisez son autobiographie Voyages.
C'était également la volonté de Spielberg quand il a pris les rennes de l'adaptation, s'entourant de spécialistes pour coller à l'état de la recherche de l'époque, contribuant à dépoussiérer l'image du dinosaure pour le grand public à l'époque. Là encore lisez et regardez les making-of.
Si ça n'avait pas été le cas, si la représentation des dinosaures dans JP avait été fantaisiste depuis le début, on n'aurait pas écrit cet article, d'ailleurs ce site n'existerait sans doute pas.
On n'aurait rien dit si Trevorrow avait lancé une nouvelle licence avec des dinos, mais le fait est qu'il reprenait la licence Jurassic Park et que de notre point de vue cela impliquait une représentation des dinosaures au plus proche de la réalité telle que la science la décrit. Encore une fois c'ets sans doute difficile à croire aujourd'hui mais c'était il y a 6 ans un pilier de la saga.

Un autre argument plutôt simple : la représentation des dinosaures dans la saga évolue en suivant les progrès des technologies d'images générées par ordinateur. Personne ne râle parce que le brachiosaure de Fallen Kingdom a plus de polygones et une texture plus détaillée que celui de Jurassic Park. Pourquoi ne suivrait-on pas, de la même manière et sans poser de questions, l'avancée des découvertes paléontologiques ?

Quant à la responsabilité de l'auteur envers les idées et les représentations que véhicule son oeuvre, bien sûr qu'elle existe. Mais ce n'est pas le sujet ici.



Le saviez-vous ?

L'audition de Ariana Richards (Lex) consistait à crier fort devant d'une caméra. Steven Spielberg voulait savoir á quel point elle pouvait avoir peur.