Les expérimentations de Jurassic Park 3

Page créée le 25-04-2022 - Mise à jour le 01-05-2022
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A la fin du Monde Perdu une page se tournait. Après avoir un temps envisagé de réaliser un troisième épisode Spielberg laissait la main. D'autres films Jurassic allaient suivre, c'était certain, mais sans lui. Félicité par Ray Harryausen qui lui demandait comment il comptait emmener la franchise encore plus loin après Le Monde Perdu, Spielberg laissait à d'autres le soin de répondre, avec une consigne tacite : faites mieux, faites différent.

Avec le discours final de John Hammond appelant à laisser les dinosaures vivre sans interférence humaine, la licence pouvait s'écarter de l'influence de Crichton, de son obsession pour l'illusion du contrôle et de sa défiance envers l'institution scientifique. Elle avait page blanche pour faire autre chose de ses dinosaures qu'un nouvel avertissement sur les dérives du pouvoir génétique.

 

Les touristes et le paléontologue

Ebauchée dans l'introduction du Monde Perdu, l'idée de mettre de simple quidams imprudents aux prises avec des dinosaures permettait de sortir de la logique de nemesis : les dinosaures ne sont pas là que pour punir leurs créateurs coupables d'hubris. Ils font désormais partie de ce monde, il faut en tenir compte et s'adapter pour que la cohabitation se passe au mieux. En l'occurence, leur île n'est plus un parc d'attraction, merci de ne pas considérer leur territoire comme une aire de pique-nique ou un spot de parapente.

Jurassic World Dominion promet de dépeindre un monde où dinosaures et humains cohabitent sur l'ensemble des continents. Sur le papier il pourrait embrasser cette thématique des "dinosaures au quotidien". Dans le contexte actuel, l'enjeu majeur de la cohabitation avec les dinosaures, notamment la nécessité pour l'humanité de changer ses comportements néfastes pour cela, trouverait une résonnance particulière. Pourtant les bandes-annonces laissent entrevoir un film où la dimension "mondiale" n'est là que pour varier les paysages, l'intrigue restant centrée sur les protagonistes et antagonistes habituels flanqués de leurs dinosaures de compagnie pour déjouer une énième conspiration dans un nouveau laboratoire secret.

En parallèle, le scénario de Jurassic Park 3 explorait le dilemme du paléontologue face à ces dinosaures vivants. Y a-t-il du sens à les opposer aux fossiles extraits de la roche ? Au vu des éléments des deux premiers films, une interprétation possible était que les créatures d'InGen (créatures modifiées pour répondre à des exigences de parc d'attraction) devenaient de vrais dinosaures (philosophiquement et "comportementalement") dès lors qu'elles s'émancipaient du contrôle de leurs créateurs, en renversant les clôtures de leurs enclos mais aussi leurs tares génétiques artificielles.

Le film faisait écho à cette idée à travers l'arc d'Alan Grant qui rejette les dinosaures d'InGen en début de film avant de progressivement recréer le lien entre eux et les dinosaures fossiles qu'il a étudié toute sa vie. Autre piste entraperçue via le personnage de Billy : la question de l'avenir de ce métier, de la tentation de troquer la recherche fondamentale pour le recel, plus lucratif, de matériel fossile ou vivant.

 

Géopolitique des dinosaures

Dans une version intermédiaire du scénario, l'impact géopolitique de l'existence des dinosaures était fortement développé. En parallèle de l'aventure de la famille Kirby, une seconde intrigue se déroulait sur le continent. Elle décrivait comment les départements d'état américain et costa-ricain profitaient de ce qui était en train de se passer sur Isla Sorna pour tenter de récupérer la souveraineté territoriale de l'île. Dans la version finale cet aspect a été réduit à peau de chagrin, à travers le personnage de Mark Deggler (le mari d'Ellie) et la mention en début de film que les îles d'InGen sont désormais sous tutelle de l'ONU.

Très appréciée des fans friands de "lore", cette thématique sera évoquée des années plus tard sur les sites de "marketing viral" de la trilogie Jurassic World comme le Dinosaur Protection Group, mais jamais développée dans les films.

 

Disruption visuelle

Lors de la conception des dinosaures du Monde Perdu, la continuité visuelle était un principe immuable, il était hors de question de réinventer les espèces déjà présentes dans le premier film. 

Sujette à débat s'il en est, cette question fut plus tard la première décision revendiquée par Colin Trevorrow lorsqu'il prit les rênes de Jurassic World : "pas de plumes", les dinosaures resteront identiques à ce qu'ont figé dans nos mémoires les films de Spielberg, quitte à devoir le justifier sur le plan diégétique. Régulièrement chahuté sur cette directive de plus en plus remise en question, le réalisateur-producteur cédera un pouce de terrain dans Jurassic World Dominion en introduisant une nouvelle espèce couverte de plumes mais les espèces "d'origine" resteront visuellement dépassées.

Jurassic Park 3, lui, avait fait le choix inverse dès 2001. Proto-plumes sur les raptors et T.rex charognard : en s'éloignant de la représentation désormais datée de 1993 il revenait à un principe fondateur du premier film, la volonté de conformité paléontologique.

 

 

Le départ de Crichton fut une opportunité de se renouveler mais c'est aussi ce qui a perdu Jurassic Park 3. Faute de ligne directrice forte et de conviction sur le message à porter, une juxtaposition d'idées nouvelles ne faisait pas un bon scénario.

Tiraillé entre les suggestions que Spielberg n'avait pu se retenir de faire, les vélléités émancipatrices de Peter Buchman, les relectures inquisitrices de David Koepp et les expérimentations des script doctors, le scénario du film de Joe Johnston aurait pu être a posteriori un recueil brouillon de pistes néanmoins pertinentes à développer pour la suite de la saga.

Il n'en fut rien. 14 ans plus tard Colin Trevorrow et Derek Connolly firent le choix de revenir en arrière pour proposer 3 itérations supplémentaires d'hubris pseudo-scientifique.

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Le saviez-vous ?

Dans Le Monde Perdu, le paléontologue Robert Burke est une caricature affectueuse du vrai paléontologue Robert Bakker.