Changer les idées
On le déplorait à l'occasion de notre critique de Camp Cretaceous : la licence Jurassic est incapable de se renouveler.
Petit rappel des faits : Camp Cretaceous est une série animée racontant les aventures d'ados en colonie de vacances sur Isla Nublar. Sur le fond et sur la forme elle avait possibilité de montrer des choses nouvelles, développer des thèmes et des idées inédites. En pratique, elle nous montre tout ce qu'on a déjà vu dans les autre déclinaisons de la licence : l'illusion du contrôle, des dinosaures qui s'échappent, des scènes de fuites. Elle va jusqu'à impliquer un des gamins dans une histoire d'espionnage industriel, idée récurrente depuis le premier film et qui semble tellement incongrue dans un dessin animé mettant en scène des enfants.
Un air de déjà vu
En fait, on se trouve face au même problème qu'il y a un an avec le court métrage Battle at Big Rock :
Parmi tous les scénarios imaginables pour un court métrage de 8 minutes ils ont apparemment choisi de repomper la meilleure scène du Monde Perdu. https://t.co/VlQINKBCCN
— JP.fr (@JurassicParkFR) September 15, 2019
Pour le retour de la licence sur les écrans après Fallen Kingdom, alors que des dinosaures étaient libérés sur le continent nord américain, on pouvait tout faire. Montrer n'importe quelle situation imaginable résultant de la fin du statu quo insulaire. Le format "youtube" permettant davantage de libertés que le cahier des charges d'un blockbuster pour le cinéma, on pouvait marquer les esprits en montrant une conséquence inattendue de cette invasion. Mais on a refait la même chose que d'habitude.
Qu'ils soient sur une île ou sur un continent les herbivores sont beaux et majestueux, les carnivores cassent tout, surtout les véhicules, les protagonistes ont des problématiques d'ordre familial à régler et c'est à ce titre qu'ils s'entraident pour s'en sortir.
En soi, ces aspects ne sont pas dénués de sens mais ils perdent tout intérêt à être repris, à chaque film et de manière de moins en moins pertinente. Des carnivores toujours plus gros et méchants, des herbivores qui ont troqué leur force tranquille contre un statut de victimes pour nous tirer une larme, et des enjeux relationnels de plus en plus gênants.
Et encore, ça c'est quand on s'en sort bien. Dans ses heures les plus sombres la licence s'entête à capitaliser sur ce qui faisait son essence en 1993 mais n'a plus lieu d'être après 5 déclinaisons. Pour être répétée sans fin l'illusion du contrôle doit se parer d'un decorum toujours plus exagéré, en premier lieu l'exploitation des dinosaures par des gens sans scrupules, et tout ce qui en découle : l'espionnage industriel (jusque parmi les ados de Camp Cretaceous donc), la création d'hybrides, l'entrainement des dinos pour le combat, le clonage humain ...
Fallen Kingdom proposait quelque chose de nouveau en abordant la question la préservation des dinosaures menacés d'extinction. Mais au lieu d'en faire le thème et l'enjeu du film le sujet fut expédié, à peine discuté, jamais résolu, pour faire place à des mafieux, des marchands d'armes venus acheter des dinosaures (qui s'échappent encore) et une nouvelle chimère sortie des éprouvettes du Docteur Wu
Des thèmes ressassés sous couvert de "dénonciation" mais auxquels aucune solution ni alternative n'est jamais proposée, même lorsque la licence donne les clés du parc à son public. Après avoir montré les dérives qui ont conduit à la chute de Jurassic World dans le film éponyme, le jeu vidéo Jurassic World Evolution ne propose pas au joueur de faire autrement, il lui demande de répéter les mêmes dérives : commerce de dinosaures, organisation de combats, manipulation génétiques pour augmenter l'attractivité des animaux ...
Ce dernier exemple est sans doute le plus révélateur. Le fait que le studio (Frontier) qui a développé le jeu ait, à quelques mois d'écart, sorti un autre jeu de gestion de parc (Planet Zoo) à la philosophie diamétralement opposée (orientée sur la préservation des espèces et décorrélant totalement les animaux de la notion de profit) tend à confirmer que les idées néfastes sont portées par la licence Jurassic, ou tout au moins par ses décideurs.
Les origines du mal
Des idées qui, qu'on le veuille ou non, dérivent directement de Jurassic Park et du leitmotiv que Ian Malcolm répète à l'envi tout au long du film : c'était Mal de recréer des dinosaures et on sera puni pour cela. Cette assertion n'est jamais contredite ni remise en question et teinte toute la saga d'un hybris permanent qui vire à l'obsession. Le dinosaure est le bras vengeur qui vient frapper ses créateurs naïfs ou animés de mauvaises intentions et, par dommage collatéral, tous leurs semblables qui passent dans le coin.
La trilogie Jurassic World est en boucle sur ce principe et a besoin, pour que ça fonctionne, que ses "méchants" fassent toujours pire : créer des chimères, les entrainer au combat, se lancer dans le clonage humain ... On pourrait s'attendre à ce que cela change dans Dominion avec la généralisation des dinosaures sur le continent, propice à raconter une multitude d'histoires différentes. Mais on sait déjà que le film mettra en scène un laboratoire de BioSyn, entreprise concurrente d'InGen mentionnée dans le premier film. Qu'importe son propriétaire, ce labo ressemblera aux autres labos, fonctionnels ou en ruine, déjà vus dans chaque film et oeuvre majeure de la saga. Des scientifiques peu scrupuleux y trameront de nouvelles choses innommables, avant que les dinosaures eux-mêmes viennent y faire le ménage, cette fois à l'échelle de la planète.
Le schéma est toujours le même, l'irruption des carnivores vient mettre un terme aux scènes d'émerveillement devant un brachiosaure ou un tricé. Chaque moment bucolique n'est qu'un répit avant la punition, pour avoir assisté à ce à quoi on ne devrait pas. Et le retour occasionnel en fin de film à une scène contemplative se fait sans humains pour y assister, chassés qu'ils ont été de ce monde perdu.
Il y a évidemment là-dedans quelque chose qui ne dit pas son nom mais ce n'est pas le sujet ici, on a déjà traité dans une vidéo du discours anti-scientifique de Ian Malcolm. Ce qui nous intéresse est de sortir de cette logique de nemesis qui, à être répétée systématiquement, devient un contresens. Une punition qui doit se répéter est une punition qui ne fonctionne pas.
What else ?
Alors on fait quoi à la place ? On raconte d'autres histoires, on aborde d'autres thèmes.
Implications géopolitiques, simples quidams dont le quotidien est bouleversé par les dinosaures, dilemme d'un paléontologue vivant dans ce nouveau monde, acceptation des dinosaures en tant que tels ... Avec le recul, Jurassic Park 3 est sans doute l'épisode qui tentait le plus de quitter les sentiers tracés par le premier film. Aujourd'hui ces sentiers sont devenus des ornières et la trilogie World y fonce à pleine vitesse, tellement sûre d'aller dans la direction que l'on l'attend d'elle qu'elle se permet des piques de fan-service revanchard à l'égard du bon vieux métrage de Joe Johnston.
Mais cloner le dyptique de Spielberg, surtout en ne s'attachant qu'à la forme, n'est pas ce qu'on attend de Jurassic World. Jurassic Park est mort et on a fait notre deuil. On est prêt à suivre Jurassic World dans le nouveau paradigme qu'il met en place : un monde contemporain avec des dinosaures en liberté. On est prêt à regarder la saison 2 de Camp Cretaceous pour suivre les gamins, abandonnés sur Isla Nublar, dans leur routine quotidienne au milieu des dinosaures. A condition que les deux nous montrent qu'ils sont capables d'exploiter de manière pertinente et novatrice ces nouveaux horizons.
Car si elle veut asseoir sa prétention à devenir une IP qui existe entre chaque film, voire à lancer une troisième trilogie, en plus de multiplier les formats, la licence Jurassic devra renouveler les idées.
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Le saviez-vous ?
L'idée originale de Jurassic Park vient d'une version d'un scénario que Michael Crichton tentait d'écrire en 1983 à propos d'un Ptérodactyle cloné à partir d'un oeuf.